• cambodge soir, encore

    Cambodge Soir : histoire d'un sabordage<o:p> </o:p>

    Le quotidien Cambodge Soir a cessé de paraître le 11 juin. Les journalistes, en grève, réclament la réintégration d'un de leurs collègues injustement licencié et une garantie d'indépendance éditoriale. Un accident de parcours qui pourrait se transformer en naufrage.

    Cambodge Soir est né, en 1995, d'une ambition claire : faire survivre une francophonie moribonde au Cambodge face au déferlement des médias anglophones. Comme au Vietnam avec le Courrier du Vietnam et au Laos avec le Rénovateur, les autorités de la Francophonie qui ont financé son lancement puis son développement n'avaient guère d'autres ambitions que culturelles. Mais le Cambodge, au contraire de ses deux voisins, accueillait depuis 1993 – malgré quelques anicroches – une presse écrite libre.<o:p> </o:p>

    Et le journal, feuille de chou trihebdomadaire de quatre pages au départ, a rapidement dépassé les objectifs fixés au départ, devenant quotidien en 1997 et incluant plus tard des pages d'information en langue khmère. Formant des journalistes cambodgiens d'une qualité et d'une éthique exceptionnelle, Cambodge Soir est vite devenu, sous la houlette de son rédacteur-en-chef Pierre Gillette, une référence en termes d'informations à chaud, de documentaires et d'exclusivités. Il est depuis longtemps la lecture préférée de l'ex-roi Sihanouk. Indépendante de tout parti politique local, sa rédaction pouvait agir et écrire en toute objectivité, ce qu'appréciaient ses quelques milliers de lecteurs.

    Trois mois après le départ, en février dernier, de Pierre Gillette, figure emblématique du journal depuis sa création, Cambodge Soir est entré dans une des crises les plus graves de son histoire. Les précédentes menaces qui avaient pesé sur le quotidien étaient d'ordre financier – la Francophonie se faisant toujours un peu tirer l'oreille pour verser l'aumône nécessaire à l'équilibre des comptes.

    Le 10 juin dernier , c'est une hache de guerre politique qu'a déterré la direction du journal, en décidant de licencier sur le champ le journaliste Soreen Seelow. Celui-ci avait eu « l'outrecuidance » de publier un article mentionnant le rapport d'une ONG, Global Witness, critiquant la mauvaise gestion et la corruption du gouvernement et notamment de proches du Premier ministre Hun Sen dans la gestion des ressources forestières du pays. Le gouvernement avait interdit la diffusion de ce rapport, ce qui n'a pas empêché plusieurs journaux, dont The Cambodia Daily, de l'évoquer.<o:p> </o:p>

    Alors, pourquoi cette réaction brutale de la direction de Cambodge Soir, qui pendant douze ans avait laissé les journalistes faire leur travail ? C'est tout simplement la conséquence d'une conflit d'intérêt majeur d'un des actionnaires, Philippe Monin, par ailleurs conseiller de l'Agence française de développement (AFD) auprès du ministère cambodgien de l'Agricultur. Celui-ci, nous a-t-on expliqué, s'est mis dans une rage folle, tout en expliquant à Soren Seelow que son article allait provoquer la colère des autorités et le plaçait en porte-à-faux. Le brutal licenciement du journaliste, le 10 juin, allait provoquer une grève de la rédaction le lundi 11 juin et l'annonce de la fermeture du journal pour « raisons de faillite économique » le 12 juin. Dans un communiqué, l'équipe rédactionnelle regrettait alors « la brutalité avec laquelle a été annoncée cette décision de mettre un terme à un travail de treize ans, alors que de nombreux projets ont été mis en place au cours des derniers mois : lancement du site internet www.cambodgesoir.info, édition d'ouvrages, réflexion sur l'évolution du contenu éditorial... ».

    Aujourd'hui, les journalistes de Cambodge Soir maintiennent leur mouvement de grève et espèrent que des négociations avec la direction permettront de relancer le journal. De nombreux appels ont été faits pour que ne sombre pas cet îlot d'indépendance journalistique au Cambodge. Soixante-dix journalistes basés en Asie et dans le reste du monde ont signé un courrier envoyé à Abou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), pour lui demander de ne pas « laisser disparaître ce vecteur de la Francophonie » et de refuser avec eux « cette décision prise par une poignée de personnes qui, selon leurs propres dires, n'ont pas la « même conception de développement » du Cambodge que celle d'une équipe rédactionnelle dévouée à l'indépendance et au respect des faits ».

    La brutalité et le cynisme de la direction de Cambodge Soir dans cette affaire – qui rappelle un peu la manière dont elle a coulé le mensuel régional francophone le Mékong l'année de la naissance du quotidien cambodgien – ne doit pas faire oublier que cet édifice éditorial était bâti sur de fragiles fondations. Les actionnaires de Cambodge Soir sont (étaient ?) condamnés à ne jamais toucher de bénéfices : plus les recettes publicitaires augmentaient, plus la subvention de l'OIF diminuait. Mais l'équilibre budgétaire de ce type de publication, au vu du marché local et d'une population francophone sans véritable renouvellement, reste une utopie. Les propriétaires du journal ont donc choisi – à l'heure où j'écris ces lignes - de saborder le navire pour se protéger politiquement. Ils n'avaient rien à perdre financièrement. Ce n'est pas ce que l'on appelle une leçon de courage.

    FT

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  • Commentaires

    1
    Pierre
    Mardi 26 Juin 2007 à 06:52
    Oui
    Parfait symbole d'une francophonie asiatique en voie d'extinction. Je crois que tout cela est acté dans l'esprit de nombreux dirigeants francophone. La Francophonie, en fait, c'est l'Afrique.
    2
    Y.K.
    Vendredi 7 Septembre 2007 à 14:25
    Cambodge Soir : histoire d'un sabordage
    Merci pour cet article clairvoyant. Hélas la situation est encore plus cynique que vous l'avez décrit car depuis, le journal Cambodge Soir a été relancé nous annonce t on, sous la forme d'un hebdomadaire. Mais qu'en est il du scandale et de l'atteinte à la liberté d'expression? Le plus simplement du monde, la direction a choisi de ne pas réembaucher tous les journalistes qui refusaient de reprendre le travail après un licenciement abusif de leur collègue, par solidarité et par conscience professionnelle. La nouvelle rédaction est donc désormais formé des membres de l'ancienne équipe qui ne pouvaient se permettre d'abandonner leur emploi et de nouveaux membres. Les autres journalistes ont donc tout perdu dans cette grave crise causée par le mépris de la profession, de la liberté de presse, et par les intérêts de la direction. Savoir que l'agence de la Francophonie continue de financer ce journal-voyou me révolte. Les lecteurs consciencieux ne pourront se réjouir de la réouverture d'un journal où les journalistes sont soumis à la censure et la loi du silence et où la ligne rédactionnelle est donnée par les actionnaires!
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