-
Laos et Mekong
Voyages
de légende
Laos : en suivant le MékongDans des remous
époustouflants, le Mékong se précipite sur les rochers noirs, soulevant à
plusieurs mètres une brume d'embruns blanchâtres.Les chutes de Khon,
gigantesque turbine naturelle, s'emballent ici depuis des millénaires, dans un
fracas étourdissant audible à plusieurs kilomètres. Selon une croyance locale,
un terrible Phi - un fantôme - se cacherait à cet endroit et empêcherait les
embarcations de monter ou de descendre le fleuve. Nous nous trouvons à
l'extrême sud du Laos, pays enclavé dont le grand fleuve est la seule mer. On
imagine l'effarement des premiers explorateurs de la « Mère des eaux », sans
voix face à cet obstacle infranchissable. Pour Doudart de Lagrée, Francis
Garnier et leurs compagnons, dont l'expédition remonta le Mékong en 1866, un
rêve s'est brisé ici : celui d'utiliser le fleuve comme voie commerciale entre
la Chine et le port, alors français, de Saïgon. Nous remontons en barque à
moteur jusqu'à Muang Khong, petit village situé sur une île au coeur du fleuve,
première étape de l'expédition de 1866 après les chutes de Khon. Sur la rive,
quelques paillotes et des maisons sur pilotis en bois, comme sur toute la
longueur du fleuve au Laos. Les paysans cultivent sur les berges des légumes,
des arbres fruitiers, et puisent l'eau pour inonder les rizières. Quelques
guesthouses, où des routards illuminés refont le monde autour d'un verre de
Beer Lao... Pour rejoindre, au nord, le temple khmer de Vat Phu, près de la
ville de Champassak, le mieux est d'attraper sur la route n° 13 un jumbo, une
camionnette-taxi qu'on partage avec des poulets et des poissons odorants. Le
sanctuaire du Vat Phu domine la vallée. La plaine s'étend à perte de vue et le
Mékong, vu d'en haut, ressemble à un long serpent paresseux. Les rizières vert
fluo dessinent un grand patchwork. Les ruines les plus anciennes datent du
royaume de Chenla du VIe au VIIIe siècle. Sur les murs du sanctuaire, deux
splendides apsaras, danseuses célestes aux sourires énigmatiques, lèvres
recourbées et coiffes somptueuses, n'ont rien à envier à celles d'Angkor Vat.
La magie de l'art khmer, après dix siècles de mousson, n'a pas pris une ride.
Dès les premiers siècles de notre ère, le sud du Laos était placé sous
l'influence khmère. Comme l'explorateur Henri Mouhot, redécouvrant Angkor en
1859, on se demande « ce qu'est devenu le peuple puissant, civilisé et éclairé,
auquel on pourrait attribuer ces oeuvres gigantesques ». Celui qui rêve de
jouer l'aventurier trouvera son bonheur à Um Muang. Ce petit temple
préangkorien du VIIIe siècle se trouve à 200 mètres du fleuve, à une quinzaine
de minutes en bateau depuis le Vat Phu. Empêtré dans la jungle, il semble
abandonné par le temps. L'un de ses deux bâtiments comporte encore quelques
linteaux sculptés de frises. Un linga aux faces sévères de dieux barbus se
dresse en son milieu. Quelques rais de lumière percent la forêt dense.Un mékong à la couleur pourpre
En remontant jusqu'à Vientiane, le Mékong trace
la frontière avec la Thaïlande. Posée sur le fleuve, la ville a perdu beaucoup
de son charme de capitale la plus paisible d'Asie. La circulation est dense,
les publicités envahissent les façades. Les pagodes sont peut-être les seuls
endroits où l'on ressente encore le parfum d'une Vientiane éternelle. Lorsque
l'expédition Garnier-Lagrée arriva ici, elle trouva une ville fantôme, rasée
par les Siamois peu de temps auparavant. Ne subsistaient que les deux temples
de Vat Sisaket et Vat Pha Keo et le stupa géant du That Luang, symbole du Laos,
encore recouvert de peinture dorée comme pour afficher une richesse que le pays
n'a plus. C'est à l'heure du soleil déclinant qu'il faut grimper sur le mont
Phu Si. Ce conseil presque confucéen s'adresse à tous les visiteurs de Luang
Prabang. L'épreuve des 300 marches est peu de chose, comparée à la vue qui
s'offre depuis le sommet de cette colline sacrée, poussée comme une bosse au
confluent du Mékong et de la rivière Nam Khane. Luang Prabang s'étale,
gigantesque mosaïque de bâtiments coloniaux blanchis à la chaux, de temples et
de cocoteraies. Le Mékong se pare d'une couleur presque pourpre. A l'est se
dessine la silhouette du mystérieux mont Phu Suang, qui abriterait l'un des
quinze nagas, dieux-serpents, protecteurs de la ville. Les Laotiens considèrent
qu'il est dangereux de s'y rendre : de nombreux paysans n'en seraient jamais
revenus. En 1861, Henri Mouhot escalada cette montagne pour y étudier la faune
et mourut quelques semaines plus tard.
Un parfum d'éternité dans l'ancienne
cité royale
Les hommes de Doudart de Lagrée, puis Auguste Pavie, premier
consul français à Luang Prabang, vinrent apporter « civilisation et protection
» aux « peuplades » de la région. Mais aujourd'hui, clin d'oeil de l'Histoire,
des milliers d'Occidentaux viennent ici échapper à leur monde « civilisé ». Ils
goûtent sérénité et parfum d'éternité dans les rues et les temples de l'ancienne
cité royale. Le visiteur a d'ailleurs du mal à faire son choix entre les 35
monastères que compte la cité. Le Vat Xieng Thong, édifié en 1560, est sans
doute le plus parfait. Dans une de ses chapelles est allongé un bouddha
magnifiquement paré, fleuron de la statuaire classique lao. Et puis comme un
cadeau, le calme et la fraîcheur du Vat Pha Mahathat, ou bien un coucher de
soleil sur les flots du Mékong, depuis la terrasse du Vat Pha Bat Tai, un
temple vietnamien moderne au sud de la ville. Nous poursuivons la remontée du
Mékong en speed-boat, sorte de formule 1 du fleuve, barque à fond plat sur
laquelle on aurait greffé un moteur d'avion. Direction : le Triangle d'or, zone
frontière entre le Laos, la Thaïlande et la Birmanie. Les embarcations
remontent le courant en serpentant entre des montagnes de jungle, de plus en
plus hautes. A 2000 kilomètres de son embouchure, le Mékong est toujours aussi
large et puissant. De nombreux rochers, au milieu du fleuve, rendent la
navigation difficile. Dans cette région-là, arriver dans un village laotien, à
l'écart des circuits touristiques, c'est se retrouver dans la peau du « Barbare
en Asie » d'Henri Michaux. Il suffit pour cela d'attendre la panne de moteur
quotidienne, inéluctable avec toute embarcation laotienne. Il faut alors sauter
à terre, avancer dans la gadoue de la rive. « Falang ma », crient les enfants.
C'est le signal prévenant qu'un étranger arrive. A l'approche de Huay Xay,
notre terminus, l'horizon s'élargit, le Mékong serpente dans une large plaine,
très cultivée. Puis il s'oriente définitivement vers le nord. On aperçoit, dans
les brumes de la chaleur de midi, les montagnes du Triangle d'or, et au-delà,
on imagine déjà le Céleste Empire. Le rêve des expéditions du XIXe siècle, qui
voulaient utiliser le Mékong pour commercer avec la Chine, pourrait bien
devenir réalité dans les années futures : déjà trois immenses bateaux de
croisière venus du Yunnan ont accosté ces derniers mois à Luang Prabang.
-
Commentaires
Je me demandais si tu conaissais le fameux projet de barrage Nam Theun 2 sur un des affluents du mekong A part la banque mondiale et ADB qui finance le projet et que EDF est le principal actionnaire, que plus de 90% de la production est destinee pour la thailande et que ce projet risque d'etre destructeur pour l'environnement, je n'en sais pas plus. Le Gouvernement du Laos toucherait seulement une sorte de compensation en dollars et par mois, pour un barrage que personne ne veut voir dans son pays (France, Thailande ou ailleurs). Seul la Chine s'est relancee dans la construction de barrage. D'ailleurs les conflits sont de plus en plus tendues, dans une region ou 80 millions de personnes dependent du Mekong et de ses affluents. Je me demande si tu n'aurais pas quelques pistes a explorer la-dessus. Parce que dans le Monde, je n'ai rien trouver...