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Thailande : pourquoi le coup d'Etat
Voici comme promis l'integrale de mon analyse sur le coup d'Etat du 19 septembre dernier. Vous pouvez en retrouver d'autres sur www.gavroche-thailande.com
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Pourquoi le 19 septembre ?Le 19 septembre, un coup d'Etat militaire a
renversé le gouvernement de Thaksin Shinawatra. La démocratie thaïlandaise a
pris un coup dans l'aile, mais le peuple semble pour l'instant accepter sans
trop broncher la tutelle militaire.<o:p> </o:p>
Dix questions et dix réponses sur un événement
historique.<o:p> </o:p>
Quelles
sont les causes profondes du coup d'Etat militaire du 19 septembre 2006 ?<o:p> </o:p>
Réunis autour du général Sonthi Boonyaratglin,
chef de l'armée de terre, les leaders du putsch sont essentiellement intervenus
pour mettre fin à une longue période d'instabilité politique. Il fallait selon
eux « restaurer l'unité du pays ».Depuis près d'un an, les
manifestations pro- et anti-Thaksin se multipliaient. La vente de l'empire Shin
Corp. du premier ministre à la firme singapourienne Temasek, sans payer la
moindre taxe, avait provoqué un scandale. Les élections générales du 2 avril furent
boycottées par l'opposition puis annulées pour vice de forme. « Depuis la
fin de la guerre froide, nous avons compris que notre rôle était de rester en
dehors de la politique. Mais depuis deux ans et demi, la Thailande connaît de
telles divisions (...) que le risque d'un renversement du gouvernement était
devenu grand », expliquait, le 20 septembre, le général Waipote Sinuan, la
veille d'être nommé par la junte à la tête de l'agence de renseignement
nationale (NIA).« Les violations de la constitution, la corruption
de son entourage, les abus de pouvoir avaient érodé la légitimité du premier
ministre. Par ailleurs, Thaksin a commis l'impardonable : il a défié
l'ordre établi et la monarchie, notamment en critiquant durant le mois de
juillet « une personne d'influence en dehors de la Constitution » »,
explique de son côté Thitinan Pongsudhirak, analyste politique et
professeur à l'université Chulalongkorn.
Les observateurs avaient facilement identifié cette personne comme étant
le général Prem Tinsulanonda, le très respecté président du Conseil privé du
Roi.Enfin, le conflit sans fin qui déchire
l'extrême Sud musulman du royaume a sans doute provoqué une fissure irréparable
entre Thaksin et les militaires. Le premier ministre semblait en effet ne
pas vouloir laisser les coudées franches au général Sonthi pour régler le
problème.<o:p> </o:p>
Pourquoi
le coup d'Etat a-t-il eu lieu ce jour-là ?Pour s'assurer de la fidélité d'une armée qui
était de plus en plus hostile, Thaksin Shinawatra avait, quelques jours avant
le coup, procédé à des changements importants lors du remaniement annuel de la
chaîne de commandement. Les promotions annoncées devaient installer à de
nombreux postes-clefs des proches de Thaksin.La People's Alliance for Democracy (PAD), la
plus virulente organisation anti-Thaksin, devait, le 20 septembre, organiser
une manifestation au cœur de Bangkok et beaucoup craignaient que les partisans
du premier ministre ne se lancent dans des provocations et que la journée
finisse en bain de sang avec instauration d'une loi martiale par le
gouvernement.Enfin, et c'est un classique du genre, les
militaires ont profité de l'absence du premier ministre, en visite à New York
pour l'assemblée générale des Nations Unies. Il s'agissait sans doute de son
dernier séjour à l'étranger avant les élections prévues en novembre, que son
parti Thai Rak Thai avait de grandes chances de remporter à nouveau.<o:p> </o:p>
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Qui sont
les nouveaux leaders du pays ?<o:p> </o:p>
Le général Sonthi Boonyaratglin, chef de
l'armée de terre, est le leader du coup d'Etat. C'est un musulman, natif d'Ayutthaya
et avant tout fidèle à Sa Majesté le Roi. Le Conseil de réforme démocratique
sous la monarchie constitutionnelle, dénomination première de la junte, s'est
transformé en Conseil National de Sécurité après la nomination d'un
gouvernement « civil » début octobre. Le CNS garde le pouvoir de
démettre le gouvernement mais n'est plus officiellement aux manettes. Le premier
ministre Surayud Chulanont, est un ancien commandant suprême des armées,
retraité en 2003. Très respecté par les militaires comme par les civils, il a
la réputation d'être incorruptible. En acceptant son poste, il a dû laisser son
poste de Conseiller Privé du Roi. Le vétéran Chavalit Yongchayud, ancien premier
ministre et ancien militaire, figure parmi les personnes dont l'influence sur
les derniers événements fût discrète mais non négligeable. Il aurait aujourd'hui
la main sur les relations avec le voisin birman.<o:p> </o:p>
Pourquoi
les militaires ont-ils pris des mesures de restriction des libertés très
sévères ?<o:p> </o:p>
La junte thaïlandaise a dès son installation
au pouvoir pris des mesures drastiques : instauration de la loi martiale,
interdiction des réunions politiques de plus de cinq personnes, censure des
médias (principalement télévision, radio et sites d'information et forums
internet). Le but des militaires était simple : empêcher Thaksin
Shinawatra, depuis New York et ensuite depuis Londres, d'accèder à la masse de
ses millions de supporters dans les campagnes du Nord et de provoquer des
manifestations monstres anti-junte. Fin octobre, il semble qu'un certain nombre
de ces mesures soient assouplies.<o:p> </o:p>
Les
médias soutiennent-ils le nouveau pouvoir ?<o:p> </o:p>
La majorité des mass-médias thaïlandais font
preuve d'une neutralité bienveillante envers les nouvelles autorités. Les principales
chaînes de télévision et de radio sont au garde-à-vous. Les milliers de radios
communautaires, qui auraient pu émettre des protestations, ont dû fermer leur antenne.
Dans la presse écrite, la critique est plus libre, mais l'aspect non-violent du
coup d'Etat et la réputation d'homme intègre de Surayud lui donnent sans doute
la perspective d'un « Etat de grâce » de quelques mois. En fait,
seuls les médias alternatifs, forums internet et listes de diffusion, osent dénoncer
le « déni de démocratie » que constitue la prise de pouvoir des
militaires. Avec pour certains, comme le site de la Midnight University de
Chiang Mai, une conséquence immédiate : la suppression de leur site
internet.<o:p> </o:p>
A quand
le retour à la démocratie ?« La constitution de 1997 manquait
vraiment de participation du peuple au système de contrôle des actions
politiques. Nous avons aujourd'hui une véritable opportunité de la réécrire
pour empêcher des politiciens riches et avides de profiter des faiblesses du
système », explique Kraisak Chonhavan, ancien sénateur. Si l'on en croît
les nouveaux leaders du pays, de nouvelles élections auront lieu fin 2007. Entre
temps, un comité d'une centaine de personnes éminentes sera chargé d'élaborer
une nouvelle constitution, qui devra être soumise à référendum (une première en
Thaïlande). Le 20 octobre, une assemblée nationale de 242 membres est entrée en
fonction, mais ses membres, issus de la société civile, politiques et
militaires, nommés par la junte, n'ont quasiment aucun pouvoir sur les actes du
gouvernement.<o:p> </o:p>
Y-a-t-il
une opposition au nouveau gouvernement ?Le parti Thai Rak Thai de Thaksin Shinawatra
est décapité. Il ne tenait essentiellement que sur les épaules d'un seul homme,
son maître et fondateur. Privé de financement (l'épouse du premier ministre y
contribuait fortement), menacé de dissolution, le parti a vu déserter des
centaines de membres depuis le 19 septembre.Le parti démocrate, principal parti
d'opposition au TRT, se voit l'herbe coupée sous le pied alors qu'il s'apprêtait
à participer à des élections, en novembre, avec de bonnes chances de figurer
honorablement. Il est lui aussi menacé de dissolution.Le parti Chat Thai garde quelques atouts en
manche. Le nom de son leader, Banharn Silpa-Archa, ancien premier ministre et
habile politicien, était évoqué depuis de longs mois comme possible successeur
de Thaksin. Mais l'avenir de tous ces partis dépendra essentiellement de l'espace
politique que voudra bien leur laisser la junte.Les mouvements populaires dits « de
gauche », encore très présents dans les milieux universitaires, retrouvent
par contre du poil de la bête. Mis sur la touche pendant des mois par les
manifestants très conservateurs du PAD, ils ont été les premiers à défier le décret
du nouveau pouvoir interdisant les rassemblements politiques, en manifestant dès
la fin septembre au cri de « Ni Thaksin, ni la junte !». Sur le net
circulent des pétitions issues de cette gauche pro-démocratique et qui a
toujours combattu, voire fait chuter, les juntes militaires thaïlandaises. « Au
bout d'un certain temps, la majorité de la population sera prête à descendre
dans la rue pour demander un retour à la démocratie. Ceux qui se battent pour
les pauvres sont à la tête du mouvement anti-coup d'Etat et c'est un bon moyen
de mettre en avant nos propositions politiques, de l'Etat-providence à la taxation
des plus riches », explique Giles Ungpakorn, l'un des leaders du
mouvement.<o:p> </o:p>
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Thaksin
peut-il revenir ?<o:p> </o:p>
« Si
des élections avaient lieu demain, Thaksin et ses partisans les remporteraient
sûrement, notamment grâce aux voix des paysans du Nord-Est qui lui restent
fidèles », explique le chercheur Thitinan Pongsudhirak. En exil à Londres,
le premier ministre déposé a pourtant peu de chances de revenir dans le jeu
politique. Son parti est en pleine désintégration et les enquêtes lancées par
la junte sur les affaires de corruption entourant son gouvernement pourraient
aboutir à des procès retentissants. Cependant, « tant qu'il sera vivant,
cet homme n'aura qu'un désir : faire un come back », affirme
Thitinan.<o:p> </o:p>
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Quelles
vont être les conséquences du coup d'Etat sur la politique étrangère et
les relations avec la France ?<o:p> </o:p>
« Il est sûr que nous regretterons le
panache et le dynamisme du personnage », explique un diplomate sous
couvert d'anonymat. En dehors de l'aspect « marketing flamboyant »
qui risque de se perdre, la politique étrangère thaïlandaise ne devrait pas
connaître de bouleversements. Les relations avec les Etats-Unis, qui ont
critiqué le coup d'Etat et supprimé leur coopération militaire, risquent d'être
tendues pendant quelques mois mais le pragmatisme devrait l'emporter. Pékin a de
son côté gagné des points en reconnaissant immédiatement le nouveau régime.Côté français, il va de soi qu'un coup d'Etat
en plein déroulement du festival Thaï en France est du plus mauvais goût. Mais
les diplomates se consolent en constatant que les années Thaksin ont permis de
relancer fortement les relations bilatérales (70% du plan d'action franco-thaï,
qui touche tous les domaines de la coopération, auraient déjà été mis en œuvre).
Et Paris n'a pas perdu tous ses atouts : plusieurs francophones figurent
sur la liste du gouvernement.<o:p> </o:p>
Quelles
vont être les conséquences du coup d'Etat sur l'économie ?<o:p> </o:p>
Les économistes, pendant les jours qui ont
suivi le coup d'Etat, n'avaient qu'un baromètre : le cours du baht. Celui-ci
est resté relativement stable. Il semble que le monde des affaires (hormis les
associés de Thaksin Shinawatra) ait ressenti le même soulagement que l'ensemble
de la population à l'annonce du putsch : les tensions politiques allaient
s'apaiser. Par contre, il faudra garder un œil sur le niveau des
investissements étrangers. De janvier à septembre, ils ont chuté en valeur
totale de 546 à 369 milliards de bahts*. Le passage des tensions politiques du
régime Thaksin aux incertitudes du mandat de Surayud aura du mal à inverser la
tendance. Et l'économie locale pourrait s'en ressentir.<o:p> </o:p>
François Tourane
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*chiffres du Board of Investment, en rapport avec la même période en 2005.
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