• Les ambitions du Dr Thaksin


    Chapo :

    En remportant haut-la-main les élections du 6 février, le Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a renforcé son emprise sur la vie politique et économique du pays. Le “ Berlusconi ” thaïlandais saura-t-il maîtriser son pouvoir et conserver la démocratie ?

    Texte :

    La puissance et la gloire. La fortune et l'amour du peuple. A 55 ans, Thaksin Shinawatra a tout ce dont rêvent les hommes ambitieux. Le 6 février, l'homme le plus riche de Thaïlande a remporté une victoire électorale sans précédent dans l'histoire de la démocratie thaïlandaise. Son parti, Thai Rak Thai – les Thaïs aiment les Thaïs – a soufflé la grande majorité des sièges de l'Assemblée nationale pour la seconde fois consécutive. Avec près de 376 sièges sur 500, il a pu former seul le gouvernement, une première pour un pays habitué aux coalitions.
    “ Après le tsunami, voici le Thaksunami ! Cette deuxième vague sera encore plus meurtrière que celle qui a dévasté Phuket le 26 décembre. Thaksin va devenir un dictateur élu, c'est terrible pour notre pays ”, se désole en privé Kavi Chongkittavorn, directeur éditorial de The Nation, quotidien en anglais très critique du Premier ministre. Et pourtant, les tendances autocratiques du nouvel homme fort de la Thaïlande ne l'ont pas empêché de séduire sept électeurs sur dix. Au premier abord, Thaksin semble avoir entendu les voix qui expriment une crainte de le voir dériver vers un pouvoir absolu issu des urnes. « J'ai la volonté que chacun participe [au processus politique] et je suis prêt également à subir l'examen du peuple », a-t-il précisé dès que sa victoire a été connue le 6 février.

    Après avoir passé quatre ans à “ réparer ” le pays, Thaksin entend consacrer son second mandat à “ construire ” un Etat moderne, en s'engageant notamment dans une politique de grands travaux d'infrastructure. Mais ses tentatives pour contrôler les médias et son approche musclée de la lutte contre la rebellion islamiste dans le Sud ou les trafiquants de drogue – 2500 morts en 2003 – ont fait du chef de gouvernement le mieux élu de la région la cible de choix des défenseurs de la démocratie.
    Ce petit homme au visage plat et régulier, avec la raie sur le côté et le sourire contraint qu'offrent parfois les cinquantaines ordinaires, a bâti deux véritables empires en moins de vingt ans. Le premier, Shin Corp., est un conglomérat spécialisé dans les télécommunications – satellites et téléphonie mobile. Pour des raisons constitutionnelles, Thaksin en a transféré les parts à ses proches parents. Selon une dernière estimation, le clan Shinawatra pèserait aujourd'hui en bourse 31,54 milliards de bahts, soit 645 millions d'euros. La somme atteindrait deux milliards d'euros en y ajoutant l'ensemble de leurs valeurs. Le chef de famille, malgré son emploi du temps surchargé, décide toujours des stratégies commerciales de l'une des holdings les plus performantes du royaume.
    Son deuxième empire n'est autre que le Thai Rak Thai, parti de 11 millions de membres, soit un électeur sur quatre. Fondé en 1998 dans le but avoué d'amener Thaksin Shinawatra au pouvoir, le TRT est une machine à gagner des voix, contre laquelle les partis traditionnels se sont brisés les poings. Son programme ouvertement populiste, basé entre autres sur l'accession des plus pauvres au crédit et les visites hospitalières à moins d'un euro, a recueilli l'enthousiasme des foules. La croissance économique retrouvée - 6% en 2004 – assure une certaine marge de manœuvre au gouvernement. Certains partis, à bout de souffle ou sentant le vent tourner, ont choisi de fusionner avec le TRT. D'autres, comme ses principaux opposants du Parti démocrate, font de la figuration. « Il faut être réaliste : le TRT a tenu ses promesses électorales. L'économie thaïlandaise est comme sous perfusion de stéroïdes, autrement dit les mesures populistes du gouvernement. Elle aura désormais du mal à s'en passer. Il semble d'ailleurs que certains gouvernements de l'Asean s'embarquent sur le même chemin. Mais seul l'avenir dira où nous mènera ce nouveau style asiatique de gouvernement », ne peut que s'interroger le Dr. Buranaj Smutharaks, directeur de la communication du Parti démocrate.
    “ Le TRT, c'est comme le club de football de Chelsea en Angleterre. Ils ont tous les moyens, peuvent acheter et employer n'importe qui ”, affirme de son côté Kobsak Chutikul, ancien député. “ Mais j'ai voté pour Thaksin, car il a réussi le tour de force de dicter sa politique aux bureaucrates qui dirigeaient le pays en sous-main depuis des décennies. ”
    Jakrapob Penkair, porte-parole du gouvernement, confirme la recette gagnante du TRT : « Nous nous sommes lancés dans ces politiques dites « populistes » parce que non seulement elles fonctionnent, mais aussi parce qu'elles nous ont permis de redéfinir la position de Premier ministre. Auparavant, ce dernier n'était que le secrétaire des bureaucrates et les universitaires avaient pris l'habitude de dire au gouvernement ce qu'il devait faire. Changer tout cela nous a pris quatre ans. »
    Si Thaksin Shinawatra a su si facilement retourner ce système de pouvoirs, c'est qu'il le connaît mieux que quiconque. Le Premier ministre est né dans la soie en juillet 1949. Au sens propre du terme, puisqu'il est issu d'une influente famille de négociants en soieries, d'origine chinoise, installée depuis quelques générations dans la ville de Chiang Mai.
    Tout en participant à la gestion des affaires familiales dès l'âge de 16 ans, il entre à l'école de police, dont il sortira major en 1973. Le jeune officier y fait sienne la devise des forces armées : “ Rien n'est impossible. La mort vaut mieux que la défaite ou l'échec ”. Il poursuit ensuite ses études aux Etats-Unis, où il obtient un doctorat en justice criminelle à Huntsville, au Texas. Pour y gagner sa vie, il livre des journaux et travaille dans un fast-food.
    Jusqu'en 1987, le futur Premier ministre combine ses fonctions de représentant de la loi, à Bangkok, avec la gestion de ses affaires personnelles. En 1986, il réalise le coup qui lance véritablement sa carrière : la vente d'ordinateurs à la police par l'homme d'affaires Thaksin selon un plan décidé par le policier Thaksin ! Et c'est ainsi qu'il construit rapidement sa fortune, en obtenant des concessions de l'Etat dans le domaine des télécommunications. “ La politique et les affaires sont inséparables, comme la terre et le soleil ”, confiait Thaksin en 1992 à Chris Baker et Pasuk Phongpaichit, auteurs d'un récent ouvrage* sur le mélange des genres pratiqué par le milliardaire.
    Thaksin Shinawatra est un homme de défis, un manager dans l'âme, qui ne cesse de se fixer des objectifs. Lorsqu'il décroche, en 1997, son troisième portefeuille de ministre, il s'engage à faire disparaître en six mois les embouteillages à Bangkok. Ses piteux résultats lui vaudront bien des moqueries dans la presse et au sein de la classe politique.
    En tant que Premier ministre, il continue aujourd'hui à appliquer la même méthode. Il y a un an, au début de la rebellion islamo-indépendantiste dans le Sud du royaume, il donne deux mois aux forces de l'ordre pour ramener le calme. Un peu plus tard, trente jours devront suffire à ses ministres pour éradiquer la grippe du poulet qui menace la puissante industrie agro-alimentaire du royaume.
    Si ces objectifs ne sont pas atteints, Thaksin a désormais trouvé une recette pour ne plus perdre la face : il fait diversion et occupe la Une. Chaque semaine, son gouvernement lance une nouvelle idée, annonce une réforme ou un nouvel accord de libre-échange.
    Fin avril 2004, au plus fort de la crise dans le Sud, après la mort d'une centaine de séparatistes dans des attaques de postes de police, Thaksin se pique d'investir dans le club de Liverpool. Argent public ? Argent privé ? Thaksin et ses proches semblent hésiter. Les journalistes thaïlandais, dont la passion pour le football anglais est inégalable, s'emballent et relèguent aux pages intérieures le fiasco sécuritaire qui touche les trois provinces proches de la Malaisie.
    Dernièrement, l'effroyable tsunami, qui a fait plus de 5000 victimes dans le royaume, a donné au milliardaire des télécoms l'occasion de démontrer pendant des dizaines d'heures à la télévision son approche dynamique de la politique. Multipliant les visites sur les lieux de la catastrophe, limogeant le directeur de la météorologie nationale, jouant sur la corde nationaliste en refusant haut et fort une aide financière internationale, le Dr Thaksin a rassuré une population déboussolée par les événements. Au passage, il a également réussi à faire oublier pour quelque temps l'insurrection islamiste qui bout à l'extrême Sud du pays et les accusations de népotisme dont il fait l'objet : les avoirs de la famille Shinawatra, a-t-on appris début janvier, ont augmenté de 70% au cours des douze mois précédents...

    Outre sa force de conviction peu commune, le leader du Thai Rak Thai s'est toujours appuyé sur des réseaux. Mais c'est son épouse, Pojaman Damaphong, qui a joué le plus grand rôle dans sa carrière. Modeste, toujours dans l'ombre de son mari, elle est pourtant sa première conseillère. « Je ne vais pas perdre la boule et devenir un dictateur. Le peuple thaï peut se rassurer : ma femme me garde les pieds sur terre », a confié Thaksin à la presse il y a deux ans. « Un dicton thaïlandais affirme que “ ceux qui ont peur de leur femme prospèrent ”. Thaksin doit en être la preuve vivante », s'amuse un observateur occidental.
    Si ce passionné de golf et de football a un cœur, c'est à sa famille qu'il le montre. Pojaman et Thaksin se sont connus adolescents, mariés en 1976 et sont aujourd'hui parents d'un garçon de 24 ans et de deux filles de 22 et 18 ans. Ayant reçu de leur père l'essentiel des parts de Shin Corp. en 1997, ces trois jeunes gens figurent parmi les plus riches d'Asie.
    Pour enseigner “ la valeur de l'argent ” à la plus jeune, Paethongtan, le fier papa n'a rien trouvé de mieux l'an dernier que de l'envoyer travailler dans un MacDonald de Bangkok, qui fut aussitôt envahi par les journalistes ! La démonstration par l'exemple culinaire semble d'ailleurs une constante chez le Premier ministre thaïlandais. On ne compte plus les fois où il est apparu à la télévision en train de “ cuisiner pour le peuple ”. Il fit, dit-on, de succulents beignets de poulet pour inciter à la consommation de volaille pendant la crise de la grippe aviaire début 2003.
    Le clan Shinawatra-Damaphong, un réseau de cousinage et d'amitiés au sein des forces de l'ordre et du monde des affaires, a également bien profité de l'arrivée au pouvoir de Thaksin. Son cousin, Chaisit, a pris la tête de l'armée de terre et son beau-frère, Priewphan Damapong, est devenu chef adjoint de la police nationale.
    “Dans la version Thaksin du contrat social, le “peuple” existe seulement pour remettre ses droits dans les mains du gouvernement et attendre que celui-ci veuille bien lui fournir les bienfaits de sa politique », expliquent Chris Baker et Phasuk Phongpaichit dans leur récent ouvrage.
    Car il est vrai que le Premier ministre thaïlandais a beaucoup de mal à supporter les critiques. Cela le rend extrêmement nerveux, à tel point qu'il s'est lancé à plusieurs reprises dans des diatribes enflammées contre la presse. Au début de son premier mandat, le gouvernement Thaksin a cherché à nuire au travail des journalistes étrangers, en faisant interdire notamment un numéro de The Economist et menaçant d'expulsion deux correspondants de la Far Eastern Economic Review. En sus de la maîtrise des ondes – Thaksin contrôle les médias électroniques gouvernementaux ainsi que la seule chaîne TV hertzienne privée, ITV - le « Berlusconi » thaïlandais a tenté de s'attirer, avec plus ou moins de succès, les bonnes grâces de la presse écrite, souvent par le biais d'achats publicitaires des ses entreprises ou des agences d'Etat. « J'ai une bonne connaissance de la philosophie démocratique, alors ceux qui en savent moins [que moi], arrêtez s'il vous plaît de parler trop... Je ne suis pas un homme fou de pouvoir... », expliquait-il sans rire à la presse en novembre 2002.
    Le peuple thaïlandais, s'il soutient aujourd'hui sans complexe le politicien milliardaire et ses amis, n'est sans doute pas prêt à perdre entièrement le droit de critique sur ses élus. Malgré tous ses efforts, nul doute que Thaksin Shinawatra continuera à entendre des voix, venues d'en haut et d'en bas, pour lui rappeler qu'il doit son mandat au peuple.
    “ Pour se calmer quand il est critiqué, il délaisse ses livres sur le monde des affaires et nous envoie chercher d'urgence un ouvrage sur le bouddhisme ”, raconte Jakrapob Penkair, porte-parole du gouvernement. Ceux qui craignent que le deuxième mandat de Thaksin n'accentue son autoritarisme savent dorénavant quel cadeau lui faire...
    François Tourane

    *Thaksin, The Business of Politics in Thailand, Silkworm Books, Bangkok, 2004.

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  • Les héros du 26 décembre

    Bien sûr, il y eut tous ces morts, toutes ces vies fauchées en un instant par la vague meurtrière. Mais sans le courage de certains, le bilan aurait été bien plus catastrophique. Et il furent nombreux, ceux qui avertirent au péril de leur vie les touristes aveuglés de soleil et les petits vendeurs de plage venus glaner ce matin-là les quelques dizaines de bahts qui leur permettent de vivre au jour le jour. Les héros de ce jour de malheur sont pour la plupart restés anonymes, mais nous avons pu récolter quelques histoires de courage et de lucidité.

    "Maman, il faut qu'on s'en aille de la plage, je pense qu'il va y avoir un tsunami", a annoncé gravement à sa mère la jeune Tilly, les yeux fixés sur la mère qui se retirait rapidement. Un peu effrayée, mais faisant confiance à sa fille, la maman a quitté la plage, entraînant les dizaines de personnes qui s'y trouvaient. Cette petite anglaise de 10 ans avait, quelques semaines auparavant, étudié en classe les séismes sous-marins et a tout-de-suite identifié la catastrophe qui s'approchait. Grâce à elle, la plage de Maikhao fut l'un des seuls endroits de Phuket à ne pas connaître de morts ni de blessés sur son rivage.

    Comme des centaines de femmes thaïlandaises, « Mama Ped » Jantra Kooluk pratique le massage traditionnel. Native de Krabi, c’est sur la plage d’Ao Nang, qu’elle exerce ses talents pour quelques centaines de bahts par jour, en compagnie de son mari Issa et d’autres membres de sa famille. Le matin du drame, Mama Ped a reçu un appel d’une amie de Phuket, la prévenant qu’une vague immense venait juste de ravager l’île à une cinquantaine de kilomètres au Sud. « Elle s’est alors lancée dans une course éperdue le long de la plage, criant à tous les vacanciers de sortir de l’eau », raconte Tom Bremer, un Finlandais témoin de la scène. « La plupart ont crû à la présence de requins et lui ont obéi, à temps pour sauver leur vie. ». Car la vague mortelle apparaissait déjà à l’horizon

    Mais les héros du tsunami ne furent pas seulement humains. On a cité par exemple dans la presse le cas de Ningnong, cet éléphant de 4 ans, qui portait une jeune anglaise de 8 ans sur ses épaules lorsque la vague a déferlé sur une page de Phuket. Aavec de l'eau jusqu'aux épaules, Ningnong a résisté à la force des eaux tourbillonnantes et s'est hissé, aux ordres de son mahout, jusque sur une colline un peu au-dessus de la plage.

    Un peu plus vers le Nord, un autre drame allait se jouer quelques dizaines de minutes plus tard, sur la grande plage de Khao Lak. Goran Aleksandrowski, 28 ans tout juste, directeur du Sofitel Magic Lagoon et ses collègues, allaient en être les malheureux héros.
    Il est un peu plus de dix heures du matin, en ce dimanche 26 décembre. Sur la plage ou dans un restaurant de plein air au bord d’une des plus grandes piscine du monde, la plupart des pensionnaires du Sofitel Magic Lagoon finissent leur petit dejeuner. Certains sont encore à faire la grasse matinée dans leur chambre, se remettant de leur soirée au Fun Pub de l’hôtel. D’autres déjeunent dans l’une des salles de restaurant de l’hôtel ou vérifient leur courrier électronique au Business Center. L’ombre des cocotiers et la brise qui vient de la mer attenuent la chaleur du soleil, déjà haut dans un ciel bleu et clair. Rien ne semble pouvoir ternir ce petit paradis niché au cœur d’une nature encore vierge.
    Situé sur la côte ouest de la Thaïlande, à une heure de route au nord de l’île de Phuket, le Sofitel Magic Lagoon attire depuis son ouverture, il y a deux ans, une clientèle fidèle de touristes aisés et d’expatriés s’échappant pour quelques jours de Bangkok, la capitale polluée et tentaculaire du royaume. Ce jour-là, quelque 415 personnes séjournaient dans les 319 chambres de ce bijou de la chaîne Accor, en grande partie des Allemands et des Scandinaves, mais également une centaine de Français, des Italiens, des Belges, des Chinois de Hong Kong, des Russes, des Chinois et bien sûr des Thaïlandais. 320 employés veillent à satisfaire en permanence les moindre besoins de ces clients fortunés qui payaient pour cela 800 dollars la nuit. A peine quelques semaines plus tôt, les ouvriers mettaient la dernière touche à des travaux de rénovation autour de la piscine, dont le montant s’est élevé à plusieurs millions de dollars.
    Vers dix heures et quart, la mer d’Andaman, relativement calme ce matin-là, commence à se retirer. Après quelques minutes, le rivage se trouve à quelques centaines de mètres. Mais personne ne semble s’en inquiéter. Sur la grande plage de Khuk Kak, bordée de resorts tout aussi paradisiaques, certains en profitent même pour ramasser coquillages et crustacés laissés derrière elle par la mer. D’autres prennent des photographies de cet étrange paysage apparu soudainement.
    Goran Aleksandrowski, ce matin-là, n’était pas de service. Après une séance de fitness, le directeur de l’hôtel s’apprêtait à lire la presse quand son téléphone portable a sonné vers 10h30. Son adjoint, Abu Hurair, un Indien de 37 ans, s’inquiétait du recul de la marée et lui a demandé de le rejoindre sur la plage. Averti lui aussi, Erwann Maye, Français de 29 ans en charge de la restauration, s’empresse avec ses collègues de faire évacuer la plage. Moins de six minutes plus tard, la première vague frappait le resort, emportant tout-de-même des dizaines de personnes, frappant celles qui n’avaient pu s’éloigner ou sont restées coincées au rez-de-chaussée de l’hôtel. Abu Hurair, le premier à avoir senti le danger, allait périr alors qu’il aidait un couple de retraités allemands à quitter la plage. Mais sa vivacité d’esprit en a sans doute sauvé des dizaines d’autres.
    Face à son hôtel dévasté, Goran Aleksandrowski, le lendemain matin, n’avait plus qu’une pensée : « On peut reconstruire des structures, mais pas des êtres humains… »
    François Tourane



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  • chinois, l'annee du coq de bois approche...<br/>

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  • La Thaïlande touchée, mais pas coulée

    L’industrie du tourisme devrait se relever rapidement de la catastrophe. Les impacts politique et économique seront également négligeables.

    Tout ce qui ne vous tue pas vous renforce. L’adage nietzchéen pourrait bien s’adapter au secteur du tourisme thaïlandais. Malgré les dévastations dues au tsunami du 26 décembre, et les milliers de personnes qui ont trouvé la mort sur les plages du Sud, l’industrie du tourisme devrait selon toute vraisemblance ne connaître qu’un impact négatif à court terme.

    Bien-sûr, si l’on regarde dans les détails, et sans parler des pertes humaines douloureuses, certains acteurs auront perdu gros dans cette affaire, notamment les propriétaires ou les gérants des resorts ravagés par la vague. Mais dans l’ensemble, la reprise des activités et le retour des hordes de touristes ne devrait pas tarder, une fois l’impact psychologique aténué.

    Sur Phuket notamment, l’ensemble du réseau routier est intact et les principaux services publics fonctionnent normalement. Mi-janvier, selon l’office du tourisme -TAT, 25000 chambres d’hôtel sur les 31000 que compte l’île pouvaient déjà accueillir les touristes, ainsi que 8000 à Krabi.

    Un mois après la catastrophe, les travaux de reconstruction de nombreuses guest-houses, cafés ou restaurants près du front de mer étaient achevés et ces établissements pouvaient à nouveau servir des clients. Seule la région de Khao Lak, la plus touchée, ainsi que l’île de Phi Phi semblent marquées durablement par la catastrophe et devraient mettre de longs mois à s’en remettre. Le Méridien Phuket Beach resort pourrait rouvrir ses portes début avril, mais Le Méridien de Khao Lak devrait rester fermé au moins jusqu’au mois de novembre.

    Ecologie : un mal pour un bien

    Les écologistes, de leur côté, sans se réjouir de la catastrophe, expliquent que le tsunami aura des conséquences positives si les autorités veulent bien prendre en compte des objectifs de développement durable dans les projets de réhabilitation des zones touchées.

    Les plages nettoyées par la vague ont, selon de nombreux témoignages, retrouvé leur aspect d’avant le tourisme de masse. Les " verts " thaïlandais estiment ainsi qu’il faut empêcher le retour de toutes les constructions illégales, restaurants et boutiques, qui polluaient la vue et l’environnement des rivages le long de la côte d’Andaman. Si cela fera sans doute quelques mécontents, les touristes venus profiter des plages redevenues paradisiaques ne pourront y perdre au change.

    Retrouver la confiance des tour-opérateurs

    Si les établissements touristiques de la région sinistrée seront rapidement, dans leur grande majorité, en état de fonctionner normalement, encore faudra-t-il qu’ils aient des clients à accueillir. Hormis quelques images de touristes allemands bedonnants sirotant une Heineken sur une plage de Phuket, les nouvelles de janvier n’ont rien fait pour donner envie de se prélasser à nouveau sous les cocotiers de la côte d’Andaman. Et encore, ils furent nombreux ceux qui trouvèrent indécente l’idée de passer des vacances à peu de distance de morgues pleines et de douleurs imprescriptibles.

    Les médias, sans déroger à leur rôle de vautours-voyeurs, pour lequel un public mateur et amateur de souffrances humaines les paie en toute innocence, ont montré les images les plus terribles. Et relayé les informations les plus nocives pour l’industrie du tourisme : réseaux de pédophiles enlevant prétendument des enfants dans les hôpitaux, plages souillées et polluées par les cadavres pourrissant dans l’eau et sous le soleil, maladies et épidémies potentielles. La vie qui poursuivait son cours dans les multiples lieux non affectés par la catastrophe n’a pas fait la moindre Une.

    " Phuket a besoin du retour des touristes "

    De fait, les " conseils aux voyageurs " de la plupart des ambassades occidentales décourageaient début janvier la visite de l’ensemble de la zone sinistrée. Le TAT, ainsi que les associations d’hôteliers et de voyagistes, ont tenté d’enrayer cet enchaînement de mauvaises nouvelles. Ils ont ainsi envoyé nombre de messages aux tour-opérateurs européens, dont certains avaient rapidement redirigé leurs clients vers les Caraïbes, pour " renverser l’image donnée par les reportages biaisés des télévisions ".

    " Nous essayons d’aider nos amis, les employés (de l’industrie du tourisme) et leurs familles en expliquant les faits et en envoyant des photos dans l’espoir que les gérants et les commerciaux (des tour-opérateurs) changent d’avis ", explique Vincent Tabuteau, d’East-West Siam. " Phuket a besoin du retour des touristes. L’île est très proche d’un retour à la normale. "

    Cette obstination a donné quelques résultats, puisque plusieurs ambassades, France et Norvège en tête, ont à la mi-janvier donné des " conseils aux voyageurs " beaucoup plus rassurants. Les autorités, en affirmant que l’eau de mer à Phuket était propre, non contaminée et qu’on pouvait s’y baigner sans risques, ont mis la main à la pâte. Le TAT a réalisé une vidéo documentaire de huit minutes pour restaurer l’image des stations balnéaires du Sud du pays, diffusée dans toutes les ambassades du royaume. On s’attend donc, dès le début février, à la réouverture de nombreuses liaisons aériennes vers Phuket et au retour progressif des visiteurs étrangers et de leurs devises.

    Croissance maintenue

    Selon la plupart des experts, le coût économique du tsunami pourra facilement être absorbé par la Thaïlande. Selon des chiffres officiels publiés par le Bangkok Post, les dommages sont estimés entre 780 millions et 1,35 milliard de dollars. Mais selon le ministère des Finances, la valeur économique des six provinces affectées ne représente que 2,7% du PNB. La croissance du pays en 2005 ne devrait pas être affectée outre mesure, d’autant que la reconstruction et la réhabilitation des bâtiments touchés pourrait relancer le secteur du bâtiment. Le gouvernement a d’ailleurs maintenu ses prévisions de croissance à 5,5-6,5% pour l’année en cours.

    Thaksin haut la main

    Les conséquences politiques de la catastrophe ne sont pas à négliger. Mais, là non plus, la vague mortelle n’a pas modifié l’ordre des choses. Elle n’a fait qu’amplifier une tendance bien établie : l’emprise du Premier ministre Thaksin Shinawatra et de son parti, Thai Rak Thai, sur les institutions du royaume. L’homme fort du pays a bénéficié de dizaines d’heures de couverture télévisée : visitant à de nombreuses reprises les victimes sur place, limogeant le directeur de la météo nationale, refusant en toute fierté l’aide financière internationale. Au final, à la veille des élections législatives, sa popularité atteint des sommets. Plus de 80% de ses concitoyens lui font confiance pour gérer les affaires du pays. La plupart des observateurs ne doutent plus que le Thai Rak Thai remporte haut-la-main le scrutin du 6 février, majorité absolue à la clé.

    Le tsunami, événement naturel qui a bouleversé en quelques instants et pour longtemps tant de vies thaïlandaises et étrangères, laissera dans les mémoires individuelles bien des souffrances, mais peu de rancoeurs. D’ici à quelques mois, à quelques exceptions près, la Thaïlande immuable, avec son lot d’émerveillements et de désagréments ordinaires, retrouvera son sourire, toujours aussi impénétrable.

    François Tourane


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  • Elections législatives du 6 février<o:p> en Thailande
    </o:p>
    Thaksin à quitte ou double

    <o:p> </o:p>

    Le 6 février, les Thaïlandais sont appelés aux

    urnes pour dire s'ils souhaitent renouveler l'expérience Thaksin Shinawatra
    pendant quatre nouvelles années. Le Premier ministre et son parti, Thai Rak
    Thai, partent favoris pour remporter la majorité des 500 sièges de députés en
    jeu, mais ses opposants n'ont pas dit leur dernier mot.

    <o:p>Et c'est reparti pour un tour. En janvier,
    ceux qui prétendent crânement que le royaume de Thaïlande n'est pas une
    démocratie auront du mal à se faire entendre. Des centaines de milliers de
    pancartes et d'affiches vont fleurir dans toutes les rues du royaume :
    candidats souriants ou trop sérieux, en costume de ville avec un casque de
    chantier, en jeune diplômé(e), en uniforme de haut fonctionnaire, en vêtement
    de sport... Des milliers de caravanes publicitaires dignes du Tour de France
    sillonneront les grandes artères de Bangkok comme les sous-soï des villages
    d'Isan. Dans la foire d'empoigne de la campagne électorale qui bat son plein,
    chacun accuse déjà le concurrent de tous les maux. Dans la province de Phrae,
    ce sont plus de 200 policiers qui, le 14 décembre, ont effectué un raid chez
    douze partisans du parti d'opposition démocrate – sans le moindre motif
    politique, bien sûr. Début décembre, la maison d'un député du parti Thai Rak
    Thai de Korat recevait deux grenades en guise de rappel : l'assassinat
    d'un de ses lieutenants quelques jours auparavant n'avait pas suffit à le
    dissuader de se présenter sous la bannière du parti du Premier ministre. Du
    côté de Chiang Rai, le parti Mahachon, nouveau venu dans l'arène, se plaignait
    mi-décembre de l'arrachage des affiches de l'un de ses candidats par des bandes
    d'hommes agissant en pleine nuit et circulant en pick-up. A Kanchanaburi, le
    principal candidat démocrate s'est vu confisquer 30 millions de bahts par la
    police et des officiers de la lutte anti-corruption, dans le cadre d'une
    enquête remontant à trois ans. Une affaire sans aucun lien avec l'approche des
    élections... Le mois de janvier sera chaud, pas besoin d'être médium pour
    l'annoncer.
    <o:p>La bataille est féroce car l'enjeu est de
    taille. Il peut même sembler historique, pour une Thaïlande dont les acquis
    démocratiques restent fragiles. Le 6 février, lors des élections législatives,
    les Thaïlandais auront à faire un choix aussi important que celui effectué par
    les Américains en novembre dernier. Et comme Bush aux Etats-Unis, celui qui
    remet son mandat de chef de l'exécutif en jeu a une personnalité qui ne laisse
    guère indifférent les électeurs. Le milliardaire des télécom Thaksin
    Shinawatra, adulé ou détesté par les habitants du royaume, n'a rien à voir avec
    ceux qui lui ont succédé au poste de Premier ministre, politiciens insipides et
    soucieux de préserver de fragiles coalitions gouvernementales. En quatre ans, à
    la tête d'une majorité confortable et d'un parti, Thai Rak Thai (les Thaïs
    aiment les Thaïs), aux ordres de son chef, Thaksin Shinawatra a transformé la
    politique thaïlandaise. Il a tenu la plupart des promesses faites pendant la
    campagne de 2001 (c'était bien la première fois qu'un parti disposait d'un
    véritable programme), des visites hospitalières à 30 bahts au moratoire sur la
    dette des paysans. Il s'est lancé dans des campagnes qui ont eu un impact
    profond sur la société. Sa guerre contre la drogue, un désastre (3000 morts) en
    terme de droits de l'Homme, a brisé l'élan des trafiquants de stupéfiants qui
    ruinaient, jusque dans les cours des écoles, l'avenir de la jeunesse thaïlandaise.
    Les campagnes pour l'ordre moral de son ancien ministre de l'Intérieur,
    Purachai Piumsombun,
    ont également contribué à maintenir la popularité de Thaksin pendant les quatre
    années de son premier mandat. La mise en place des produits artisanaux sous le
    label OTOP, tout comme le fonds d'un million de bahts accordé à chaque village,
    ont renforcé l'impression que ce natif de Chiang Mai se préoccupait autant des
    paysans que des citadins de la capitale. Tout ceci explique qu'à quelques
    semaines des élections, les partisans de Thaksin, comme de nombreux
    observateurs, donnent le Thai Rak Thai largement vainqueur du scrutin du 6
    février.
    Au populisme sans scrupules du Premier
    ministre, à son usage malin de méthodes éprouvées du milieu des affaires, s'est
    ajouté un défaut que ses adversaires tentent de mettre en avant pour le
    déboulonner : son autoritarisme. Rarement un chef de l'exécutif
    thaïlandais arrivé au pouvoir légalement et non par la force n'aura usé si
    brusquement de ses prérogatives. Entouré d'une cour qui ose rarement le
    contredire, Thaksin Shinawatra décide de tout à la première personne, donnant
    le flanc aux accusations de despotisme, voire de dictature, dont usent en
    campagne ses opposants politiques et les défenseurs des droits de l'homme. Sa
    gestion de la crise de la grippe aviaire, politique de l'autruche s'il en fut,
    tout comme sa prétention à acheter le club de football de Liverpool avec de
    l'argent public ou son approche musclée de la flambée de violence dans le Sud
    du royaume, auraient dû amplement entamer son capital politique. Il n'en fut
    rien. Les tentatives du gouvernement pour faire taire les critiques qui
    s'élevaient dans les médias ou chez les universitaires ont souvent eu l'effet
    inverse. De nombreux journaux ont en décembre relayé les propos de Somkiat
    Tangkivanitch, directeur du Thailand Development Research Institute, qui
    traitait le gouvernement d' « ennemi de la liberté de la
    presse ». Le fait que la famille Shinawatra et ses proches aient vu leur
    fortune augmenter considérablement depuis quatre ans (voir encadré) jouerait,
    en d'autres contrées, un rôle de repoussoir absolu. Mais tout cela n'a,
    semble-t-il, pas ébranlé la grande masse des électeurs du Thai Rak Thai, qui s'apprêteraient
    à lui redonner un mandat de quatre ans.</o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    S'il ne fait guère de doute que le TRT restera
    le premier parti politique du pays, les autres partis, démocrates en tête,
    rêvent de l'empêcher d'obtenir une majorité absolue, soit 250 sièges sur
    500. Certains observateurs affirment même qu'il faudrait 300 sièges de députés
    au TRT pour décourager certaines factions mécontentes en son sein qui
    pourraient être tentées de changer de parti.



    Le parti démocrate, assis fièrement sur la
    victoire de son candidat Apirak Kosoyadhin aux récentes élections pour le poste
    de gouverneur de Bangkok, imagine qu'il peut provoquer la suprise en emportant
    un certain nombre de circonscriptions dans le Nord et la plaine centrale, tout
    en contenant l'offensive du TRT dans ses fiefs du grand Sud.
    Le parti Mahachon, formé il y a quelques mois
    par d'anciens démocrates sous la houlette de Sanan Kachornprasat, très influent
    politicien, espère bien provoquer la surprise. Son leader nominal, Anek
    Laothamatas, un universitaire reconnu, pourrait attirer les voix d'une partie
    de la classe moyenne guère inspirée par le peu flamboyant Banyat Bantadan,
    leader des démocrates.
    Le seul qui ne se fasse guère de souci, c'est
    Banharn Silapa-archa, ancien Premier ministre et vieux loup de la politique, à
    la tête de son parti Chat Thai. Ce dernier, qui a gouverné au côté du TRT
    pendant quatre ans, serait en position de force pour décider de son partenaire
    de coalition si aucun parti n'obtenait de majorité absolue à l'issue du
    scrutin.
    <o:p>Quoi qu'il en soit, le 6 février au soir, les
    Thaïlandais auront tourné une nouvelle page de la turbulente histoire politique
    de leur pays. Choisiront-ils de se rallier au panache blanc d'un homme aux
    ambitions douteuses, voire dangereuses, mais au dynamisme contagieux, ou de
    retomber dans le ventre mou de la politique coalitionnelle dont les profits
    pour le petit peuple furent de tout temps modestes ? Nous ne nous
    risquerons qu'à prédir une chose : ce jour-là, des centaines de millions
    de personnes dans le monde jalouseront l'un des rares privilèges du peuple
    thaïlandais : le droit de vote.
    François Tourane</o:p>

    Encadré : Shinawatra comme Crésus

    Les avoirs de la famille Shinawatra ont
    augmenté de 70% au cours des douze derniers mois, alors que la bourse a en
    moyenne chuté de 20%. C'est ce que démontre une enquête du magazine local Money
    & Banking
    , qui décerne le titre de « personne la plus riche de
    Thaïlande à Pinthongta Shinawatra, fille et deuxième enfant du Premier
    ministre, qui se retrouve à la tête de plus de 18 milliards de bahts (450
    millions de dollars US). Au total, la famille la plus riche de Thaïlande
    détient des avoirs d'une valeur totale de 31,54 milliards de bahts. Nous nous
    abstiendrons d'avoir l'indécence de comparer ces chiffres au salaire moyen des
    électeurs du Thai Rak Thai.


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